03 Jul Interview d’Olivier Megaton : mieux connaître le réalisateur
Vous avez aimé la première interview d’Olivier Megaton ?
Celui-ci a très aimablement accepté de répondre à de nouvelles questions afin de satisfaire notre soif de connaissance dans ce domaine, mais aussi sur son expérience personnelle.
Celle-ci ayant eu lieu il y a quelques mois de cela, permet néanmoins de revenir sur certains points de Taken 2, enregistrant d’excellentes recettes à travers le monde.
Étant donné que tu as entamé la dernière ligne droite concernant Taken 2, comment cela se passe-t-il pour la version française?
Pour la version française, il faut vérifier ce qu’il se dit car il y a des contre sens énormes. La version originale est celle qui va être distribuée aux us, il est donc normal que je suive la VF pour m’assurer que tout y soit étant donné que je connais le film mieux que quiconque. De plus, il arrive souvent que dans le jeu des traductions, des informations liées au film disparaissent au profit de certains éléments de style, ou interprétations personnelles des adaptateurs.
En temps normal je vais jusqu’au bout car je suis aussi sur les sessions d’enregistrements. Pour Taken 2, je ne me suis occupé que de l’adaptation en soit. J’ai reçu les textes en français et c’est à moi de vérifier que la logique des personnages soit respectée, plus actuelle, étant donné que je connais bien les dialogues du film après quelques mois de post prod. J’essaye d’éviter les milliards d’expressions qui nous font bondir quand nous voyons un film en VF, telles que « nom d’un chien », qui ne sont plus utilisées même si dans la version originale le personnage dit « God sake», ou encore d’éviter la leçon de français chère à certains adaptateurs qui pensent qu’ils sont investis d’une mission pédagogique lors de l’adaptation. Les dialogues d’un film sont plus proches du langage parlé que de Balzac ou Proust, ce n’est qu’après qu’il faut chercher le sens plus que la traduction littérale en français. Au final, on crée à nouveau les personnages quand on adapte.
J’essaye de faire au mieux car 95 % des copies en salles en France sont doublées et non sous titrées.
Généralement, je suis tout l’enregistrement de la VF, le choix des acteurs, choisi le directeur de plateau et suis présent jusqu’au mixage français : c’est pour cela que les voix sont assez proches de l’intention. Malheureusement sur celui-ci, le distributeur a pris la décision de garder exactement la même logique que sur le premier opus et avait déjà choisi le cast. Je ne voyais pas en quoi dans de telles conditions, mon expérience de réalisateur pouvait être utile et c’était à l’opposé de ma conception d’une VF. Je ne conçois pas de faire un film en pointillé si je ne m’occupe pas de tout et jusqu’au bout : j’en suis le seul responsable aux yeux de tous. Si tout à coup le marketing et la distribution s’immiscent dans des décisions artistiques et qu’elles ne sont pas logiques avec ma vision de metteur en scène, je n’ai plus rien à faire et surtout refuse d’être responsable de choses que je n’ai pas initiées.
As-tu un droit de regard sur les doubleurs ?
J’essaie de garder la même rigueur que sur le reste du film, mais il faut être conscient que les productions s’y prennent trop souvent au dernier moment, après la fin du mix original. On se retrouve alors à devoir travailler avec ceux qui sont libres plutôt que ceux avec qui on voulait vraiment travailler au départ. La VF est souvent déconsidérée en terme de qualité et d’exigence : on doit tirer des oreilles pour avoir des budgets logiques avec la représentation en salle du film en français. Rappelons que plus de 95 % des copies sont en français aujourd’hui dans les salles hexagonales. Les distributeurs sont plus dans une économie qu’une vraie continuité artistique, ce qui fait la misère des VF en France. On fait tout pour se passer du réalisateur sur cette étape pourtant capitale, afin d’aller plus vite et engager le moins de moyens possible. C’est là ou les deux logiques s’opposent.
D’où t’es venue l’idée du surnom Megaton ?
C’est assez particulier. Bien avant d’être graffiteur lorsque je commençais à faire des pochoirs et aussi à découvrir le milieu de l’alternatif voire punk, tout le monde avait des surnoms tels que Destroy, Snuff… sans avoir nécessairement un rapport.
Pour ma part, j’ai une histoire particulière : étant né le 6 août 1965, le médecin présent lors de l’accouchement a remarqué que cela se déroulait 20 ans après Hiroshima au jour et à l’heure près. Lorsque l’on m’a raconté cette anecdote, celle-ci m’a marqué bien que je ne savais pas à quoi cela correspondait.
Ce n’est que vers mes 12-13 ans, période durant laquelle j’étais en pleine affirmation, que j’ai fini par comprendre. C’est aussi à ce moment que j’ai dû choisir un surnom. Pour le coup, j’ai pris— Megaton —, en référence à la plus grosse explosion crée par l’humain sur Terre.
A l’époque, j’étais terrorisé par une menace de conflit nucléaire. Je me rappelle encore de mes cauchemars durant lesquels je me réveillais dans un monde dévasté par la bombe…
Mes premiers souvenirs de reportages de guerres étaient le Vietnam, des images particulièrement chocs à l’époque. On parlait de menace nucléaire tout le temps. Je ne sais pas si c’était pour exorciser cette peur, mais j’ai décidé de prendre cette obsession à bras le corps en choisissant ce nom…
Cela faisait O. Mega et pendant un long moment, je signais mes peintures avec un symbole oméga (Ω) suivi de T, O et N.
Il y a eu par la suite une évolution du surnom et les gens ont fini par m’appeler comme ça pendant des années, dans ma précédente vie de peintre.
Au moment de réaliser mon premier court-métrage, j’ai pris conscience que je faisais autre chose, à savoir un projet différent avec une intrusion dans une classe sociale et culturelle différente. Il était peut-être temps pour moi de reprendre mon nom civil car j’avais du mal à imaginer mon surnom comme crédible par ces gens, qui déjà à l’époque vous regardaient de haut. Complexés par mes origines sociales, très probablement, il faut aussi voir une certaine clandestinité dans le choix d’un pseudo et tout à coup, le lier à quelque chose d’officiel représentait un certain danger et surtout une confusion des codes irréversible.
De plus lors de ma rencontre avec le premier comédien de ma carrière, j’ai découvert que celui-ci s’appelait Patrick Fontana. Chose assez délirante, il avait le même nom que moi bien que n’ayant pas les mêmes origines car je suis Corse et lui est Italien.
Au final, je voulais garder mon nom civil tout en effectuant une transition mais personne ne comprenait car j’avais signé No Way avec Olivier Megaton Fontana. Ils me connaissaient sous le nom de Megaton, mon comédien s’appelait Fontana, ils ont alors pensé que nous co-réalisions le film : total malentendu. J’ai donc fini par garder Megaton.
Moi qui pensait changer de nom et revenir à mon nom civil, je n’ai jamais pu. Ce n’est pas une volonté de ma part ni une prétention, c’est juste que j’ai essayé pendant deux courts métrages j’ai finalement laissé tomber. D’ailleurs, il me semble que pour mon troisième court-métrage, La grande clarté, j’avais utilisé Megaton tout court.
Je n’arrive pas à l’expliquer que je n’avais ni honte ni une fierté absolue de mon nom civil. C’était un surnom pour se cacher, mais lorsque tu fais du cinéma, tu as besoin de t’affirmer et de reconnaissance. C’est pour cela qu’aujourd’hui j’ai gardé ce nom et qu’il est impossible de m’appeler par mon nom civil.
Je trouvais ce nom étrange au départ, mais ça l’est tout autant que Johnny Halliday ou Catherine Deneuve. Curieusement, ce sont les noms atypiques qui marquent le plus les esprits, mais officiellement je m’appelle Megaton, ce nom étant reconnu par l’État civil comme mon alias (Fontana dit « Megaton »).
Lors de notre premier entretien, tu avais dit que toutes tes expériences précédentes avaient créé ce « personnage » que tu es. N’as-tu jamais eu envie de le mettre en scène ?
Non je n’en ressens pas l’envie, ni même celle d’écrire sur ce sujet. Je ne suis pas du tout mégalo— c’est même l’opposé — alors qu’il faut l’être un tant soit peu pour écrire sur soi (ce qui n’est pas forcément mauvais mais pas mon truc) et ma hantise est que l’on puisse imaginer que je le suis. Les gens ont souvent pensé que j’étais prétentieux parce que je parlais très peu. En effet, lorsque je suis avec des gens que je ne connais pas, je ne parle pas du tout. De ce fait, ils se demandent pourquoi je les observe, alors qu’en fait je suis simplement timide. Pendant longtemps j’ai souffert de ça, ne sachant pas comment aborder les gens, ayant peur de ne pas pouvoir communiquer correctement ou de ne pas avoir le langage, la culture.
Je suis au contraire très content de découvrir la vie de certaines personnes et de parler de ce que je fais, mais parler de moi est quelque chose de très compliqué. Je trouve pourtant amusant de me remémorer des souvenirs mes cela reste en privé .
J’ai essayé et ai fait tellement de choses particulières, atypiques, uniques voire bizarres, que cela a fini par constituer un parcours riche. Cela me fait penser au Festin Nu de William Burroughs. Il s’agit d’un livre qui fait l’apologie totale de la défonce (sans grand rapport avec mon expérience, mais toutefois excellent à lire) qui commence par : « Il y a beaucoup de gens qui parlent de différents sujets, moi je vais vous parler de la défonce ». Puis il liste tout ce qu’il a fait.
En ne lisant que le début du livre, tu as alors un aperçu de l’expérience de l’auteur et j’ai pour ma part vécu énormément d’expériences dans des milieux tous plus variés et riches les uns que les autres, des vies différentes, découverts des réseaux différents. Il s’agit d’une attitude qui n’est due qu’à la curiosité et au fait que je doive rassasier mon hyperactivité.
Le début du punk et du rock alternatif, du graffiti, la lutte antifasciste, les banlieues et la naissance de son sentiment existentiel … une existence riche qui m’a permis de voyager dans le monde entier, de rencontrer des gens différents, des situations étranges, enrichissantes ou même dangereuses.
J’aime en parler à l’occasion, mais ça fait toujours ancien combattant et je ne pense pas qu’au fond cela intéresse grand monde…
Même s’il ne s’agit que de s’inspirer de ce personnage et non de le reproduire totalement à l’écran ?
Non, parce que tu as peur de t’exposer et j’ai pour ma part peur de m’impliquer ; j’aime bien avoir de la distance et parler des gens ou des choses que j’aime, dont j’ai peur, mais pour les choses trop personnelles, je n’ai pas assez d’affect dessus et le seul type que tu puisses avoir est celui de te haïr pour diverses raisons.
Si je ne le fais pas, c’est par pudeur et j’en ai trop pour le faire. Pourtant, je suis bien conscient qu’à un moment donné, je vais devoir mettre tout ça à plat car ce sont des moments d’histoire, et que plus le temps avance, moins j’ai envie d’oublier.
J’aime partager ce genre de moments d’histoires avec des personnes que ça peut éclairer ou qui ont vécu eux aussi ces pans d’existence.
J’ai discuté récemment avec des jeunes à un festival ciné au Cap d’Agde, qui étaient en train de monter un festival de la ville et des banlieues. Je leur ai parlé du premier festival CINEMA et BANLIEUE de VAUX en Velin, c’était en 90/ 91. Durant cet échange, j’ai pu leur raconter une anecdote leur montrant à quel point l’expérience nous mène dans des situations étranges : j’ai gagné mon premier prix avec mon premier court métrage NO WAY lors de ce festival et Annie Girardot était présidente du jury.
Le dernier soir je me retrouve placé en face d’elle, lors du diner et elle essayait de m’expliquer que j’avais gagné un prix sans vouloir me le dire. De ce fait, il était important pour moi de rester pour le recevoir le lendemain : moi n’ayant rien compris, je suis parti à Clermont Ferrand où le festival du court commençait et pour lequel mon film était sélectionné.
Le lendemain j’arrive à Clermont ne sachant pas que mon film a eu le prix à Vaux en Velin. Je l’apprends en arrivant au bureau du festival de Clermont, alors que certains des organisateurs me menaçaient de me sortir de la compétition étant donné que mon film n’y était plus en exclusivité… Tout au long du festival, cela n’a été qu’un cinéma à n’en plus finir, le jury est venu me voir après la projection du film pour que l’on dîne ensemble, ce qui a fini par créer un scandale, au point où l’on a conseillé à ce fameux jury d’éviter de me remettre un prix important… J’ai finalement eu le prix du film « extrême »… afin que tout le monde soit satisfait : welcome dans le monde du court métrage ! Pour moi ce sont des souvenirs délirants, passionnants mais je ne les ai qu’en mémoire. Cela m’a construit, m’a blindé, m’a structuré…
Tu n’as pas eu envie de coucher ça sur papier, de raconter une histoire délirante ?
Pas pour l’instant car je considère cela comme très dangereux. Je le ferais à titre de mémoire pour moi et moi seul, étant donné le nombre de choses et de connexions qui me paraissent importantes dans mon ascension sociale, de rien à un peu quelque chose de la culture dominante.
Les graffitis, la relation alternative aux graffitis mais aussi avec une certaine classe sociale dominante. Une famille a pris le pouvoir, dicté les règles, écrit l’histoire avec ses propres arrangements et j’ai encore aujourd’hui une amertume au sujet de la manière dont ça s’est passé et la façon dont on a oublié la véritable histoire (cf. interview précédente). Mais ça ne m’empêche sûrement pas de dormir, donc tout va bien, j’ai découvert peu à peu que c’était dans la nature humaine de se battre, que ce soit concrètement ou en imposant une non vérité par l’omission, la stratégie sociale et ce au détriment de ces propres amis .
Curieusement, je ne vais pas puiser dans mon expérience personnelle, historique ni même dans mes films. No Way est éventuellement celui dont je pourrais être le plus proche. Pour l’occasion, je suis allé chercher dans tout ce que les autres ont pu vivre et non dans ce que j’ai vécu (et que je connais par cœur) tel que le métro, la rue, les squats ou la violence urbaine. Je ne suis pas allé puiser dans mon expérience sur cette violence ayant passé la moitié de ma vie à canaliser cette énergie, je me vois mal en faire l’apologie.
L’un de ces canalisateurs telle que l’a été la boxe thaï pendant très longtemps, ne m’est jamais apparu comme un thème ou sujet évident sur lequel je devait travailler dans le cinéma et pourtant j’en ai passé des milliers d’heures à taper sur un sac, des paos ou sur un ring. Tout ça est vraiment trop frais encore pour ma part…
À quel âge as-tu arrêté la boxe thaïlandaise ?
Autour de la trentaine. Je suis hyperactif et ayant besoin de me dépenser physiquement tous les jours, cela m’a aidé à me conditionner. Lorsque tu fais des sports de combat dès ton plus jeune âge, tu augmentes en intensité car la discipline que tu exerces ne te suffit plus au bout d’un moment. Tu recherches toujours plus dur, plus efficace, plus dangereux…
La Boxe Thaï a été un guide pour moi, cela m’a renforcé, ça m’a sculpté non seulement physiquement mais aussi et surtout mentalement. Cela m’a en quelque sorte programmé pour mon métier : celui de metteur en scène est très particulier, dur, demande énormément de discipline, de force de caractère de volonté … Il faut avoir été en camps d’entrainement en Thaïlande et s’être entrainé toute la journée pendant des semaines pour comprendre l’analogie. Quand on sort de là on a été au bout de soi et un film, ce n’en est pas très loin.
Peux-tu me décrire les objectifs que tu utilises pour tes films ?
Tout dépend du film, de ce qu’il raconte, de son style, de la lumière que tu auras pour le tourner, car en fonction de cela, tu ne choisiras pas les mêmes optiques. Ton choix se portera sur son caractère graphique, la rondeur ou l’opposé le métallique de son rendu, les flou produits, les flares tous aussi uniques que les optiques et il faut savoir que tout varie d’une optique à une autre.
Il faut aussi prendre en compte le côté pratique : par exemple lorsque tu tournes un film d’action c’est bien plus compliqué de le faire avec une série Primo qui est ma série d’optique préférée en anamorphique. Ce n’est pas la Rolls Royce mais il y a un graphisme, un rendu que j’adore, la façon la profondeur de champs est rendue et qui donne cette impression de cinéma. Leur piqué est exceptionnel tout comme le modelé que rendent ces optiques. C’est très difficile à travailler mais à mon humble avis, c’est la plus belle série d’optique qui soit.
J’apprécie aussi les Master Prime pour leur très grande ouverture, permettant de travailler quasiment en pleine nuit avec peu de diaph et peu de lumière tout en gardant ce graphisme que j’affectionne et là encore des flares ainsi que des flous vraiment uniques.
Par soucis de praticité, mon équipe et moi-même travaillons beaucoup avec des Hawk ou des Cooks, étant donné qu’en super 35 mm c’est bien plus facile ; cependant ce ne sont pas mes objectifs de prédilections.
En revanche, je ne suis moins fan des Zeiss, trop métalliques. On les as beaucoup utilisé en clips et en pubs, étant un peu l’optique à tout faire, mais pour le cinéma c’est une toute autre histoire : on fini sur un écran géant où chaque détail de l’image est démultiplié…
Concernant les objectifs, mon modèle préféré et que j’utilise tout le temps pour mes gros plans, c’est le 24/290 Angenieux Optimo qui me permet d’effectuer tous mes gros plans en super longue focale. Je peux sniper avec et changer la focale instantanément, ce qui en fait mon instrument de travail principal avec la 2.35 ARRI.
Sur les 16 courts-métrages que j’ai réalisés, dix sont en vrai scope (anamorphique) car je suis un client de ce genre. Pour moi c’est ça le vrai et grand cinéma, ce qui rend l’émotion dans le regard, ce qui le décore et qui au final se rapproche le plus de la relation œil/réalité, de la façon dont le cerveau ré-analyse. Tu as une précision dans le net ainsi que dans les arrières plans et un flou des arrières plans qui se rapprochent beaucoup de la façon dont tu regardes toi et comment l’œil fait la mise au point.
Étant très sensible à ça au cinéma, c’est pour cette raison que je ne supporte pas la HD, parce que l’on ne sait plus où regarder, cela supprime le point de vue, l’interprétation du metteur en scène mais aussi du cadreur ou du pointeur. La HD nous donne un nombre d’informations inutile car trop de déf(inition) tue la déf(inition).
Le digital est très pratique et pourra nous faciliter la tâche quand elle sera au même point que le 35 mm. On confond souvent la quantité définition et la qualité de la définition. Je me contrefous de voir les poils d’oreilles de mon comédien préféré dans un film, ce que je veux qu’on me montre, c’est son émotion et il faut interpréter les informations pour ne canaliser le regard sur son regard et cette émotion.
Un metteur en scène est comme un peintre : il doit être précis sur ce qu’il montre (le net va-t-il être sur l’œil gauche de l’acteur ou sur le droit ?) et ce n’est pas en montrant plein de choses que c’est forcément bien. Il y a des vrais choix à faire qui ont une influence sur tout ce qui se trouve dans un cadre, mais aussi la composition de celui-ci se fait par rapport au net, à la profondeur de champs. C’est donc pour cela que l’anamorphique est selon moi ce qu’il y a de mieux en termes d’expression cinématographique.
Toutefois, ce n’est pas pratique et tu disposes d’une profondeur de champs déplorable. Lorsque tu travailles en très longue focale, avec peu de lumière (donc eu de diaph), tu dois avoir deux centimètre de profondeur de champs… Si l’acteur respire un peu fort, cela devient tout de suite flou.
Exit a donc été tourné en anamorphique (Primo ) avec un développement et un tirage sans blanchiment. Cela donne au final une image tellement poussée dans l’esthétique que je pense avoir du mal à en retrouver une telle qualité à nouveau dans l’un de mes futurs films. Il y a cinq ans, j’ai réalisé un court-métrage nommé Angie pour lequel on est revenu à cette logique-là et l’on a pris un risque avec la méthode sans blanchiment par rapport au labo. Cela valait finalement la peine car on obtient une image cinématographiquement sublime : des noirs noir d’encre, des blancs presque fluorescents. L’image vit, elle en est presque organique…
La Sirène Rouge a eu un tirage sans blanchiment et double sans blanchiment sur le début du film : cela donne un fourmillement mais aussi l’impression que les personnages vivent avec des modelés uniques. Je trouve ça vraiment sublime.
Avec Transporteur 3, on passe à des films très commerciaux et comportant des effets spéciaux. Pour celui-ci, j’ai dû abandonner le scope et travailler en sphérique 2:35, en super 35 mm. (Je ne vais pas faire un cours de cinéma sur la différence entre anamorphique et sphérique sinon ça va durer deux heures.)
D’un coup, l’image est plus molle, le matériel plus compact mais finalement plus intéressant pour de l’action puisque l’on travaille avec trois caméras la plupart du temps, voire jusqu’à sept pour les séquences d’action. Le scope sur Panavision est plus compliqué à utiliser car c’est du matériel plus précis et surtout beaucoup plus lourd.
Pour Colombiana, on a tourné en super 35 mm, full super 35 mm. On a tourné en 3 perfs, sauf les effets spéciaux en 4 perfs (pour avoir le maximum de surface à impressionner).
Enfin, pour Taken 2, toute la partie États-Unis est en Panavision scope, en vrai anamorphique. Je suis vraiment revenu à mes premiers amours avec un début de film très clair, très net mais surtout avec de l’émotion car il y a beaucoup de choses qui s’échangent au début du film. De plus, je voulais vraiment avoir une image ultra-cinématographique, à la manière des films des années 70 comportant des plans magnifiques, que l’on soit dans les yeux des comédiens.
Avec un acteur comme Liam Nesson qui a des yeux sublimes, on ne peut qu’avoir envie de chercher l’émotion, ce qui nous a poussés à tourner en scope. Étant donné qu’il n’y avait pas d’action, ce n’est pas la même légèreté, même si j’ai déjà tourné des films d’action en scope (c’est un faux débat de se dire ce n’est pas possible) puis, tout le reste du film a été tourné en super 35 mm. La différence n’est pas énorme mais dès que l’on est dans l’action, ça va plus vite.
J’ai aussi beaucoup tourné en digital notamment en Alexa et en Red mais on arrive très rapidement à leurs limites et le problème est que l’on fait passer le marketing avant la réalité en arguant du fait que c’est moins cher en terme de lumière et labo (autre débat que nous ne développerons pas là).
En comparaison, du matériel Panavision avec une série d’optiques Primo— qui ne coûte rien car personne ne l’utilise — et le travail du laboratoire, te reviendront quasiment au même coût de revient, vu la masse de corrections et traitements d’images que nous devons faire pour une image digitale. Aujourd’hui la qualité d’image entre le photochimique et le digital (pour une exploitation ciné bien sûr), reste très différente.
Maintenant, si tu souhaites aller à contre-courant et travailler de cette manière, on te dira que c’est compliqué, chose assez curieuse étant donné que l’on a opéré comme cela pendant 100 ans.
Je ne suis pas contre le digital mais j’aimerais qu’un jour, il y ait des caméras ayant le même degré de technicité, avec autant de légèreté et de facilité à travailler, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Quand tu as une Alexa qui est aujourd’hui une bonne caméra pour faire de la télévision, des clips ou encore de la pub et que tu la fixes sur un steadycam en configuration ,tu as 10 kg de plus avec le codex sur la caméra digitale. Compte tenu du poids supplémentaire sur le steadycameur, tu ne peux pas lui faire faire les mêmes mouvements, ce qui a une influence sur ta mise en scène, sans compter qu’il faut faire attention à plein de choses car des aberrations vont se produire.
Une fois que l’on passe à la post-production, je suis surnommé le Lynx car sur un tournage je peux te dire comment va être le contraste. J’ai ce don d’arriver à décrypter une image très rapidement, ce qui fait que lorsque je regarde les effets spéciaux, je vois des choses qui passent inaperçu aux yeux des autres, comme par exemple des vibrations.