01 Jul Mieux connaître le métier de réalisateur avec Olivier Megaton (1/2)
Après avoir achevé récemment le tournage de Taken 2 et peu avant de commencer le montage de son dernier film, Olivier Megaton (de son vrai nom Olivier Fontana) a accepté de répondre à mes questions. Interview sans prise de tête et surtout sans langue de bois à la terrasse d’un café, loin des soirées mondaines.
Comment en es-tu arrivé à évoluer dans le monde du cinéma ?
Je viens à la base du monde du graffiti et avant tout de la banlieue. Je dessine depuis que j’ai l’âge de deux ans : c’est un don et j’ai toujours été passionné par ça bien que souhaitant devenir vétérinaire. Malheureusement, venant d’un milieu modeste, personne ne voulait que je fasse carrière dans le dessin car ce n’était pas un métier reconnu. Il y eu très rapidement des conflits avec mes parents et je me suis écarté de ce qu’ils voulaient que je fasse, ce qui m’a au final permis d’exister en tant qu’artiste.
J’ai donc continué à peindre et ai fini par découvrir le graffiti à 13 ans (pochoir) ainsi que le graffiti américain à 15 ans (à la bombe) lors d’un concert de The Clash.Ce fut un premier tournant dans ma vie : je faisais alors des fanzines, de la musique… J’ai vraiment grandi dans l’alternatif, la politique d’extrême gauche, l’ultra-créativité de la fin des années 70/début des années 80.
Ayant un esprit cartésien, à l’école j’ai été attiré par la filière scientifique. Du coup, on m’a surnommé le « Rubik’s Cube » car j’en ai toujours un sur moi depuis que j’ai douze ans. Cela m’aide à me concentrer car je panique facilement lorsque je n’arrive pas à résoudre un problème : au final cela crée un personnage bien particulier.
Par la suite, j’ai commencé à peindre avec des artistes très connus tel que Blek, Mesnager, Mystic, Epsilon… Petit à petit en rencontrant des gens pendant des concerts durant lesquels j’avais pu m’exprimer à la bombe, j’ai fini par faire la connaissance de Jean-Baptiste Mondino qui m’a proposé du travail : j’ai tout de suite pensé à de la peinture. En fin de compte, il m’a annoncé qu’il venait de monter une boîte de production et qu’il était à la recherche de jeunes personnes non familières avec la réalisation et venant d’univers différents (entre autres Seb Janiak réalisateur de vidéoclips pour NTM, Janet Jackson, Olivier Dahan réalisateur de La Môme…).
Il me demanda alors une idée de court-métrage en essayant de me convaincre qu’il fallait absolument que je fasse du cinéma : c’est à ce moment que je l’ai regardé en lui demandant s’il ne se foutait pas de moi.
Étant donné que Jean-Baptiste venait d’Aubervilliers (banlieue que je connais bien), on partageait ces histoires d’extrême gauche un peu rocambolesques (comme la chasse aux skinheads), des trucs très cinématographiques, des histoires délirantes. C’est donc convaincu et sans réellement savoir comment l’inspiration m’est venue que je me suis mis à écrire un court métrage sur une histoire assez dure à la base. On s’est ensuite empressé de déposer le tout au CNC (en 88). Plus tard, j’ai reçu un coup de fil sur mon répondeur m’annonçant que j’avais obtenu « l’aide sélective » (subvention d’investissement). Je n’ai pas bien compris sur le coup mais on me donnait les moyens de réaliser le court-métrage. Là je me suis retrouvé comme un con car je n’avais jamais été sur un plateau de cinéma mis à part sur Tchao Pantin ou La balance où je cachetonnais (300 francs ainsi qu’un sandwich pour une journée, ça ne se refusait pas).
Je n’avais jamais voulu être cinéaste de ma vie et voilà que tout d’un coup je devais réaliser un court métrage : tout le monde trouvait ça génial mais je paniquais d’autant que je n’avais pas d’équipe.
À force de raconter mon histoire à gauche à droite, les gens se sont regroupés autour du film, notamment des techniciens de Luc Besson par le biais d’une connaissance, ce qui m’a permis de constituer une bonne équipe au final (n’ayant plus besoin de mon assistant, je l’ai même viré dès la première heure de tournage).
J’ai tourné ce film comme je voulais, tout le monde a trouvé ça délirant et voilà comment j’ai commencé à faire du cinéma : ça a été mon premier « Moteur ! », premier « Action ! ».
J’imagine que ce fut une expérience très marquante ?
Oui, très forte. D’autant que l’histoire parlait d’un de mes amis avec qui je peignais et qui s’est fait assassiné. J’ai alors réalisé ce court-métrage sur fond de paranoïa car il se disait à l’époque qu’il y avait un groupe de mecs qui trainaient dans le métro, livrés à eux-mêmes et qui réglaient leurs comptes : ce fut du coup assez fort au niveau de la mémoire. L’histoire était tellement dure que ça a été interdit aux moins de 16 ans et censuré (la RATP m’a censuré 2 minutes 30). Comme je fais toujours les choses jusqu’au bout (chercher la musique, voir des endroits…), je m’étais occupé de tout de A à Z.
Le film a fait des festivals et a récolté énormément de prix. Je me suis alors heurté à un gros problème : je ne venais pas de ce milieu. Je devais faire face à des gens qui me questionnaient et à qui j’avais envie de coller une droite – logique étant donné que je pratiquais des sports de combat depuis que j’étais tout petit (ce qui m’a aidé à me construire). Donc quand une personne de Clermont-Ferrand comme Claude Duty est venue me voir pour me dire « Olivier Megaton un compromis entre Luc Besson et Tarkovsky, est-ce bien raisonnable, nécessaire, intéressant ? », c’est devenu très difficile de me contrôler. Il s’en rappellera toute sa vie car il m’a dit : « j’ai cru que tu allais me tuer ». Effectivement j’étais assez remonté, n’étant pas super fan de ce milieu. Puis au bout d’un moment j’ai appris à me tempérer, à les écouter…
Je venais de faire un court-métrage et finalement je n’étais pas motivé pour en refaire un autre, quelque peu dégoûté par ces gens… Du coup, je peignais, je voyageais dans le monde entier… C’est alors que Transmusical m’a demandé d’en faire un autre, en atelier étant donné que j’en faisais avec des mômes de banlieues. Je me suis finalement dis pourquoi pas, voilà comment j’ai tourné mon deuxième court-métrage : L’égareur. La chaîne de télévision Arte en a entendu parler et m’offrit la possibilité de réaliser mon troisième court-métrage : Forte Tête.
À chaque festival où je présentais ma dernière réalisation, je remportais un prix bien que cela ne soit pas ce que je recherchais, pas même pour la compétition étant donné que j’avais eu l’occasion d’en faire sur un ring. Non, pour moi le cinéma était autre chose, une expérience mémorable mais les trois-quarts des prix je ne les ai jamais récupérés : très honnêtement, les gens du court-métrage m’ont toujours fatigué et je leur ai bien rendu d’ailleurs.
Après avoir réalisé trois courts-métrages, j’ai entamé l’écriture d’un premier long métrage. J’ai la chance de faire des choses qui fonctionnent sans pouvoir l’expliquer : les gens sont touchés, choqués… Je ne me suis jamais posé de questions et je continue parce que j’ai une vraie boulimie de travail.
Au final, j’ai fait 16 courts-métrages, puis j’ai écrit trois longs-métrages, c’est ensuite que l’on m’a proposé de faire La Sirène Rouge. J’ai commencé à travailler dessus mais ce fut assez chaotique au départ étant donné que l’on alternait phase préparatoire et arrêt du projet. C’est à ce moment que je me suis finalement plié à la logique de ce qu’est être réalisateur de films de genre en France, à savoir 1 chance sur 10 000 de faire les choses.
J’ai fait un autre court-métrage, Je ne veux pas être sage. Pour la petite histoire, les gens me disaient que c’était un bout de long métrage en réalité. Tout le monde me considérait comme un réalisateur de longs-métrages alors qu’à ce moment, je n’en avais pas encore fait.
Après avoir montré ma détermination pour en réaliser un, j’ai rencontré les gens de Canal+, puis de TPS qui au final ont accepté de me financer. Ils m’ont alors donné quatre millions de francs et je me suis retrouvé à faire un long métrage alors que j’étais à cette même période en train d’aborder La Sirène Rouge une fois de plus en pensant que ça allait être mon premier film : au final ça sera Exit (logique selon le monde du cinéma).
Tu en gardes un fort souvenir ?
Oui et pour cause : quatre semaines de tournage et pas d’argent pour tourner! Au final, c’est un film assez riche, complétement tournée à la maison en non-stop, c’est aussi là où j’ai rencontré des gens marquants comme Yvan Lucas…
Ce film fut la première grosse pierre dans cet édifice. S’en est suivi une nouvelle rencontre avec Luc Besson qui craqua sur le film et décida de le distribuer à l’international, de vendre les mandats. Il était dans sa période de grâce car il venait de quitter Gaumont et comme RB2K venait de se créer, il voulait vraiment travailler avec d’autres metteurs en scène.
Après avoir eu beaucoup de malchance, comme Gaspard Noe, Yann Kounen, toute ma génération, à rencontrer des difficultés pour faire nos films, il y eu d’un seul coup une ouverture : j’ai fait Exit suivi de La Sirène Rouge l’année d’après. Voilà comment tout a commencé, ce qui ne m’a pas empêché de continuer à peindre. Le cinéma a été une maladie qui me hante encore, j’ai tout simplement capitulé et je suis devenu cinéaste.
Penses-tu que ton expérience du graffiti a eu une influence sur tes réalisations ?
Je pense que ça a eu une influence au niveau de ma mentalité, de mon travail dans la mesure où lorsque tu peins des graffitis, tu as intérêt à avoir une méthode implacable, un moral en béton armé, une volonté ainsi qu’une pugnacité à toute épreuve. Lorsque tu te retrouves devant un mur de 100m de long et 10m de haut, tu te sens tout petit et tu te dis qu’il va falloir être motivé.
Très rapidement tu projettes des rushs dans ta tête afin de mieux visualiser comment cela sera perçu : c’est ma mentalité, bien que tous les graffiteurs doivent l’avoir aussi.
Ça, c’était au niveau du fond. Maintenant au niveau de la forme, mon origine sociale a fait que mes parents n’ont pas cherché à m’encourager dans ce domaine car il avait un enfant doué. Ils ont seulement découvert il y a 10 ans que j’avais un vrai métier. C’était très particulier, il a fallu se battre et le graffiti m’a permis d’exister par moi-même, de rencontrer des gens, d’accéder au cinéma, de structurer, d’apprendre la chroma, les couleurs…
En dehors de la discipline que je me suis imposé, cela m’a aussi permis de me recentrer, me calmer…
Je vois des gens encore aujourd’hui que j’ai connu quand j’avais 13-14 ans, ils ont cette sérénité que n’ont pas tout le monde car ils ont pu faire ce qu’ils voulaient dans la vie. Je suis très fier de voir des gens comme Shuck2 qui m’appellent encore pour me proposer d’organiser un Graph Park à Nanterre : il persiste mais en plus il veut partager.
Je suis une des personnes qui a le plus peint dans le pays et cela m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes. Quand je vois le nombre de mômes en banlieue à qui j’ai appris à peindre, c’est monumental : si tu calcules, j’ai fait 240 villes de province et à l’étranger 10-15 villes, c’est énorme.
C’est ma victoire sur la vie : j’ai été aidé par des gens, renié par d’autres mais au final j’ai réussi à m’en sortir.
À l’époque, le graffiti était dit « bourgeois » même si j’ai connu des gens qui venaient du même milieu social que moi. Face à ça, je me suis dit que je ne pouvais pas lutter, n’ayant pas les mêmes codes, le même langage… J’ai juste travaillé sans chercher la reconnaissance : au final j’ai dépassé ces donneurs de leçons. Alors qu’ils peignaient dans la rue, je rencontrais de gros problèmes avec la justice. Ma vie n’étant pas la même et surtout ne disposant pas du même crédit qu’eux, lorsque je me faisais arrêter, le risque était plus élevé pour moi. Pourtant, j’ai eu la chance d’avoir été écarté du mauvais chemin par mes amis qui m’ont fait comprendre que j’avais un quelque chose d’unique entre les mains.
Compte tenu de tout ce que j’ai traversé comme épreuves ainsi que de mon origine de banlieue, je ne peux pas imaginer un demi-instant, en regardant où j’en suis arrivé, de me décevoir ainsi que les gens qui m’entourent. Je me suis toujours battu pour ne pas les décevoir, c’est ce qui m’a préservé et qui a fait que j’ai survécu.